Rencontre avec une entrepreneuse engagée pour réparer la terre. Pascale Guiffant est engagée depuis de nombreuses années dans la transformation des entreprises. Ancienne vice-présidente du développement durable chez Suez, elle est aujourd’hui co-fondatrice et co-dirigeante d’Open Lande : collectif d’experts engagés pour faire émerger, accompagner et développer des projets économiques pour « réparer la Terre ». Pascale, c’est un parcours professionnel au service du développement durable, des humains, du vivant. Et une parole forte pour tracer les contours de l’entreprise aujourd’hui.
Pour moi, il y a deux choses essentielles, une Belle Boîte c’est d’abord une mission qui fait sens pour le monde. On est dans une situation complexe et compliquée sur les questions de répercussion sur l’environnement et sur l’écologie de la façon dont on travaille aujourd’hui, de nos professions, de nos entreprises. Une Belle Boîte c’est déjà une boîte qui prend ça en compte pour son avenir et celui du collectif. C’est aussi une boîte qui met le vivant au cœur de son modèle économique et de la façon dont elle travaille, et qui agit pour le faire. Avec Open Land on milite pour faire émerger une économie qui régénère, parce qu’aujourd’hui on est dans une économie qui détruit du vivant, et pour moi une belle boîte c’est une boîte qui dit qu’elle va mettre ces sujets au cœur de ses activités et du coup agir pour le faire.
OpenLand est une entreprise sociale et notre mission est de « réparer la Terre ». Notre objectif est qu’un maximum d’entreprises intègre les enjeux écologiques et sociétaux au cœur de leur métier. On s’adresse vraiment aux professionnels et aux enjeux des entreprises. On est à la fois une communauté, un tiers lieu et un parcours d’accompagnement des individus.
Je suis restée plusieurs années dans le groupe Suez où j’ai travaillé sur les enjeux de développement durable, sur les questions d’économie circulaire, de climat, le développement d’une stratégie de développement durable d’un groupe qui faisait 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Après avoir fait un peu le tour du grand groupe et de ce que ça demande, j’ai eu envie d’entreprendre, donc il y a trois ans je suis arrivée à Nantes où j’ai co-fondé Open Lande avec Walter Bouvais et Marine Laurent.
Ça fait 15 ans que je me bats pour ça, mais clairement par rapport aux dernières années il y a un changement de paradigme. Nous sommes encore au début d’une révolution écologique qui doit changer la façon dont on vit, dont on travaille et dont nos entreprises fonctionnent.
Pendant plusieurs années, la RSE a apporté des changements sur différents sujets qui n'étaient pas pris en compte, par exemple sur les RH il y a eu beaucoup d’avancées avec le handicap, sur les questions de droit humain avec la loi sur le devoir de vigilance etc. La question environnementale a avancé sous la pression de la réglementation qui est assez contraignante en France et en Europe. Mais elle devrait l’être encore plus. Mais je pense qu‘aujourd’hui il y a de plus en plus d’entrepreneurs qui ont envie d’opérer leur mutation écologique non pas à cause de la réglementation mais parce qu’ils sentent qu’il y a une modification dans la société. Il y a une prise de conscience des défis qu’on a face à nous, et des conséquences potentielles sur leurs vies, la vie de leurs enfants.
Les entreprises qui ne changent pas vont vite devenir obsolètes ou concurrencées par d’autres acteurs.
Dans la transformation d’une organisation il va y avoir plusieurs leviers, on va chercher à améliorer la chaîne de valeur actuelle, les processus habituels ou en remplacer certains, typiquement si je mets dans mon processus une matière qui aujourd’hui est non renouvelable comment je vais arriver à faire 0 déchet, et si je mets une matière renouvelable comme l’eau comment je vais essayer de faire un maximum de circularité ou comment je vais limiter la quantité utilisée.
Aujourd’hui des business deviennent de moins en moins justifiables et acceptables, par exemple les eaux minérales : est-ce que c’est bien raisonnable d’envoyer de l’eau minérale d’un site à l’autre bout de la planète dans du plastique qui va être en plus jeté. C’est là où la RSE a un peu failli, elle a beaucoup agi sur les activités à l’intérieur de l’entreprise et on a commencé un peu à travailler la chaîne de valeurs, notamment sur les achats durables mais l’enjeu c’est bien de travailler sur l’offre, sur le modèle économique, sur la façon dont ils travaillent, la façon dont la valeur est répartie au sein du modèle économique.
Chez Open Land, on est persuadé de la force de l’interne. On est tous soumis à un même niveau d’information, tout le monde est en train de se rendre compte de la situation dans laquelle on est. Il y a de plus en plus de dissonances au sein des salariés et des entreprises pour certains qui essayent de faire des efforts au niveau individuel et quand ils arrivent dans leur boîte ne voient pas le chemin. Comment est-ce qu’on donne le pouvoir aux salariés et comment on leur donne la possibilité de prendre conscience d’eux même de transformer leur entreprise par l’intérieur.
On a défini un parcours qui est inspiré de travaux du MIT qui a défini la théorie du U qui aide à accompagner les transformations en prenant en compte les enjeux prospectifs et pour faire émerger un futur souhaitable au-delà de regarder dans le rétroviseur. Ce qu’on propose c’est commencer par une sensibilisation du plus grand nombre au sein de l’organisation pour que cette transformation soit appropriée et partagée. Ça peut aussi passer par la réalisation de diagnostics (bilan carbone, impact sur la biodiversité, etc). Il y a aussi des entreprises qui souhaitent travailler sur leurs missions, leur raison d’être, pourquoi pas devenir des entreprises à mission, et donc se doter d’une stratégie et c’est important parce que ça permet de se donner des objectifs datés, chiffrés par rapport à une vision proposée ça donne un cap. Sans stratégie, on est dans une myriade d’action qui s’additionnent les unes aux autres et il est rare qu’on voit de gros impacts.
C’est le greenwashing : l’entreprise ne fait aucun retour sur la façon dont s’est réalisé, rien n’est soumis aux parties prenantes, c’est simplement un exercice de communication sans fait ni projet.
Il faut faire « feu de tout bois ». Il faut des gens à l’intérieur des grandes entreprises qui les poussent à se transformer, c’est ce que j’ai fait pendant 15 ans, maintenant je passe à autre chose. Il faut des gens qui monte des projets à impact et des entreprises à impact qui vont aller prendre de la place, montrer d’autre façon de faire, développer des offres innovantes etc. Et il faut surtout ce tissu entrepreneurial, et le tissu entrepreneurial français, des PME des ETI qui prennent en comptent ce qui arrive. Cette évolution du contexte dans lequel ils vont faire leur métier, vont acheter par exemple toutes les ruptures d’approvisionnement qu’il y a, on se retrouve dans un monde avec des limites. Le truc c’est que demain il faut qu’on ai tous des limites parce que notre Terre a des limites et qu’il est temps d’apprendre à les accepter.
Nous allons vivre dans les 30 ans qui viennent les conséquences de nos actions des 50 dernières années.
J’essaye d’être lucide, j’ai envie de penser à un avenir dans la joie et qui nous offre des possibilités. Je pense que cet avenir se contracte, avec l’apparition de limites que nous n’avions pas. Si on pense que l’économie est en dehors de ça, on fait une grave erreur : il n’y a pas d’économie sans vivant. Tout ce qui est produit, qui existe, qui est fait par les entreprises, est fait grâce au vivant. J’espère un avenir de mobilisation générale face à ça, on n’a plus beaucoup de temps, on a 5 ans pour se mettre au boulot. Pour autant je pense qu’il faut être lucide et volontaire, qu’on garde quelque part une forme d’optimisme et l’envie d’avoir un avenir moins difficile que ce qui se présage si on ne bouge pas, et se préparer à s’adapter.