Carine Chesneau, présidente du groupe Lambert
Regards

Carine Chesneau, présidente du groupe Lambert

Cette semaine, l’équipe de Belle Boîte est partie à la rencontre de Carine Chesneau, présidente du groupe Lambert, entreprise industrielle spécialisée dans la fabrication et la distribution de produits métallurgiques en fil d’acier. Très impliquée dans le tissu entrepreneurial local, Carine Chesneau nous partage sa vision de l’industrie française, les combats d’une PME bientôt centenaire et nous livre son analyse des enjeux pour les entreprises de territoire.

Pour commencer, c’est quoi pour vous une Belle Boîte aujourd’hui ?

C’est une entreprise qui s’inscrit dans la durée, dans laquelle les collaborateurs ont plaisir à venir travailler, dans le sens où ils trouvent un épanouissement personnel pour grandir dans leur métier et dans leur vie. Il y a aussi l’idée de profitabilité pour mener des projets, continuer à investir et être durable. C’est aussi une entreprise qui a de bonnes relations avec ses clients, ses collaborateurs, ses fournisseurs et la Société en général. C’est aussi une entreprise qui s’engage dans son territoire.

Vous parlez de plaisir, comment on associe ce sentiment avec l’entreprise ?

L’entreprise c’est le lieu où passe une majorité de citoyens donc c’est important de ne pas y aller à reculons. Je suis intimement persuadée que l’on peut trouver dans l’entreprise un épanouissement : on a un lien social, on apprend des choses, on progresse, on peut prendre plaisir à travailler. L’enjeu des entreprises aujourd’hui c’est l’humain, c’est d’avoir une équipe qui se sente bien pour qu’elle soit le plus possible engagée dans l’entreprise.

« Pour moi, la notion de plaisir serait sans doute le premier critère d’une Belle Boîte. »
Quelles évolutions avez-vous observé dans l’entreprise depuis que vous la dirigez ?

En 20 ans, l’évolution majeure pour moi se situe dans la relation avec l’équipe. Un des critères qui dirige l’entreprise depuis sa création c’est le respect de la personne humaine et comme dans beaucoup d’entreprises familiales, le respect de la relation durable. Ce qui a changé depuis 20 ans, c’est un management un peu différent : plus collaboratif et collectif.

Vous avez senti un besoin des collaborateurs ?

Avant de venir dans l’entreprise familiale, j’étais dans un grand groupe avec un fonctionnement différent, je suis aussi impliqué dans les réseaux d'entreprise. Je me suis donc beaucoup inspiré de l’extérieur et j'avais aussi une volonté personnelle d’impliquer plus les collaborateurs. D'un autre côté, je pense qu’il y a sûrement aussi une volonté de leur part de s’impliquer davantage, ils ont envie de plus participer.

Qu’est-ce que vous mettez dans le terme entreprise familiale ? Est-ce que cela crée une particularité ?

J’y mets beaucoup le terme de durabilité. On est beaucoup dans le moyen et long terme, on voit les choses s’inscrire dans la durée et il y a la notion de lien. Ça crée une particularité dans le sens historique surtout.  

 

Aujourd’hui, on entend beaucoup parler d’Entreprise à Mission, de Raison d’être, de Bcorp etc. Comment faites-vous le tri ? Et est-ce que pour une PME ce sont des domaines d’exploration ?

On ne s’inscrit pas dans un modèle, on vit notre vie, en faisant attention à tous les rôles de l’entreprise. Connaître sa raison d’être permet d’avoir un fil conducteur, de faire attention à nos parties prenantes, de progresser et pérenniser l’entreprise. Mais par rapport à des grands groupes qui sont très structurés, nous, c’est moins formalisé. Nous allons faire un bilan carbone, nous ne sommes pas obligés de le faire, mais c’est la démarche de progression qui m’intéresse.

 
Comment on fait aujourd’hui quand on est une entreprise centenaire pour travailler un matériau qui est partout et qui a un impact environnemental fort ?

On peut agir sur deux plans. Déjà, on essaye de réduire notre dépense d’énergie tous les jours. Depuis quelques années, nous avons inversé notre sourcing en privilégiant l’acier issu du recyclage. Aujourd’hui, nous avons seulement 5% d’acier issu du minerai. On peut faire ça « facilement » mais attention à garantir la qualité pour nos clients et la question de prix aussi.

L’idée derrière ça serait que nos fournisseurs réduisent leur empreinte carbone dans la fabrication de l’acier. Mais il n’y a plus d’acier long en France, je suis obligée d’acheter dans les pays étrangers où les réglementations ne sont pas forcément les mêmes.

L’autre grosse dépense en carbone c’est le transport, je m’oblige à faire venir de la matière première des pays limitrophes.

On observe depuis quelques temps un retour de l’industrie sur le devant de la scène. Il y a une volonté de recréer la fierté industrielle, c’est une réalité?

La fierté de produire local est vraie. En France, on est deux ou trois à produire ces produits. Avec la crise et avec les frontières fermées, nous n’avons pas subi de baisse d’activité, les entreprises sont revenues. Depuis le déconfinement, le phénomène s’érode mais le discours de « fabriqué en France » porte. Il y a 20 ans, nous ne communiquions pas sur le fait de fabriquer en France, aujourd’hui, c’est en permanence dans notre discours et c’est un argument commercial et environnemental.

 
La notion de fierté est-elle partagée par le collectif de l’entreprise ? Les collaborateurs en ont conscience ?

Aujourd’hui ils le savent. Ils savent qu’ils sont pratiquement les seuls en France à fabriquer ces produits-là, et à détenir le savoir-faire. Dans notre raison d’être il y a aussi ça, la défense d’un savoir-faire qui est presque ancestral, et on a envie qu’il perdure, ça serait dommage de le perdre.  

 

Pour conclure un peu sur se tourner vers l’avenir, qu’est-ce que vous voyez comme grand enjeu pour l’entreprise de demain ?
Le premier enjeu qui me vient à l’esprit c’est l’humain. Il faut faire en sorte de créer un contexte qui favorise l’épanouissement des collaborateurs pour qu’au global l’entreprise soit la plus performante possible.

Le deuxième ce sont les approvisionnements, on voit bien que consommer local sécurise les approvisionnements et permet d’avoir des relations durables et respectueuses avec les fournisseurs.

Le troisième c’est la transition environnementale. Par philosophie c’est nécessaire, et économiquement parlant il faut réduire son énergie car elle va devenir de plus en plus chère.

Le Covid a tout révélé pour ceux qui n’en avait pas encore conscience : l’enjeu humain, sans collaborateur on ne peut pas travailler, la hausse des matières premières, l’énergie. On s’est habitué à vivre dans un monde où tout est peu cher, à faire venir des produits de l’autre bout de la Terre. Tous les prix augmentent en ce moment, sans doute qu’ils étaient anormalement bas avant. Si on veut de la qualité, il faut payer le prix de la qualité, et si on veut qu’il y ait encore des emplois en France et des produits de qualité, il faut payer le juste prix.  

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